La
Toussaint - TOUS SAINTS
"La fête de Toussaint.
C'est, de l'année, la plus joyeuse fête! Noël en est l'espérance:
vous allez voir ce qui va se passer !... Pâque en est la
confirmation: vous avez vu ? Il est ressuscité! La mort est
vaincue, alléluia!... Et puis il y a toute la vie, il faut bien
ça, pour passer de l'espérance à la possession de la victoire,
et cette victoire c'est la Toussaint. La route n'est pas facile.
Elle requiert beaucoup de confiance, de foi. Longue route souvent
obscure dont l'Évangile indique les balises. Mais route de
bonheur, malgré tout, bien entendu. La pauvreté du cœur, la
douceur, la certitude d'une consolation dans les moments de
larmes, la faim et la soif de cette justice qui vient de Dieu, le
pardon donné, la droiture du cœur, la volonté de paix. Rien de
cela n'est vraiment facile, nous le savons d'expérience, et
cependant Jésus insiste: devant chacun de ces signaux qui
pointent vers la sainteté, le même mot, sans cesse répété,
heureux, heureux, heureux...
Oui, fête de la joie immense de la sainteté. Avec humour, Saint
François de Sales faisait remarquer qu'un saint triste est un
triste saint. On pourrait élargir la remarque et dire aussi, par
exemple, qu'une célébration triste, fût-elle eucharistique, est
une triste célébration. On pourrait s'interroger sur ces messes
dominicales où chacun semble fuir l'autre en jouant à l'écarté,
comme pour donner 11l1usion, par une assemblée clairsemée, que
300 personnes remplissent un espace fait pour en accueillir 1500 !
La joie et l'entrain seraient sûrement plus visibles si nous étions
tous bien serrés autour de la table, accomplissant enfin la
poignante parole de Jésus sur la route du Calvaire: "Jérusalem,
Jérusalem, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme la
poule rassemble ses poussins sous ses ailes...".
Difficile joie de Toussaint où le voisinage de tous les cimetières
que nous visitons le lendemain, voir le jour même, semble, dans
un malencontreux rapprochement, colorer de gris, de violet ou de
noir, cette joie par le lugubre voisinage avec ce qui est bien le
plus à l'opposé de la joie: la mort, le deuil, la déchirante séparation
d'avec ceux qui nous tenaient à cœur et dont la disparition nous
"brise le coeur"... Et pourtant, 11ntention de l'Église
est bien là, ce n'est pas par hasard, il y a là une pédagogie
que nous devons retrouver et comprendre. Et la clé que nous
avions peut-être oubliée c'est justement qu'il faut faire entrer
la mort dans l'immense joie de la Toussaint. Il faut retourner le
sens de la contagion. Pas facile? Regardez encore les Béatitudes.
La joie de la Toussaint vient éclairer la tristesse de !a mort.
Car c'est bien là où est le seul problème, la -pierre
d'achoppement de tout bonheur présent. Ou la mort est le dernier
mot, et n'importe quelle joie risque bien d'apparaître comme
l'illusion faite pour cacher la réalité, le divertissement
disait Pascal. Ou la foi doit pouvoir dire quelque chose de ce qui
sans elle ne serait qu'une tragique absurdité, cette cassure,
cette tombée dans le néant qui vient soudain engloutir notre
passion de vivre. La prodigieuse force de l'espérance chrétienne,
de la foi pascale, c'est que Celui dont elle accueille la parole a
précisément traversé de la lumière de Pâque non seulement la
mort, mais la pire des morts, afin que chacun puisse y réconforter
la sienne, qu'elle soit paisible, si c'est possible, qu'elle soit
tragique, ce qu'elle est le plus souvent. Voilà pourquoi après
tout il n'est pas si étrange de tant fleurir nos cimetières pour
leur donner un air de fête. Il Y a même certains coins de France
où c'est le jour des Rameaux que l'on va déposer sur la tombe
des êtres chers les feuilles vertes de l'espérance.
Ainsi, en fêtant tous les saints, c'est en réalité vous et moi
que nous fêtons, et tous ces frères humains qui peuplent tous
les cimetières du monde. Pour dispersées que soient leurs
cendres, pour redoutable que soit leur effacement à nos yeux, en
Christ ressuscité nous savons qu'en eux a été déposé un jour
un germe de vie qui puise sa fécondité dans l'immense amour créateur
culminant au calvaire pour se confirmer à jamais au matin de Pâque.
Si nous croyons que l'homme est créé à l'image et la
ressemblance de Dieu, voilà que désormais, dans le mystère de Jésus,
cette image passe forcément par le mystère de la mort, puisque
tout homme est morte!, et que Jésus, sur la croix, meurt pour de
bon. Mais cette image est appelée en nous, en tout baptisé, et
finalement en tout homme dès lors qu'il y a en sa vie la trace
indélébile d'un amour authentique, à rayonner à jamais dans la
sainteté, ce don joyeux de Dieu qui est la clé de son Royaume.
De la Toussaint au cimetière, ce peut être la même espérance,
la même joie, la même fête, la fête des vivants devant le
tombeau vide. Mais Seigneur augmente en nous la foi !..."
Père Blondeau
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