Serviteur
inutile
"Des serviteurs inutiles.
Voilà
qui n'est guère encourageant. A quoi bon servir si on ne sert à rien? Est-ce la loi du Royaume? Est-ce la loi de
l'Église
? On pourrait parfois le penser au vu des résultats. Et baisser les bras. Qui n'en n'a eu un jour la tentation? A moins que les considérations de Jésus ne pointent le doigt vers notre suffisance. La suffisance est toujours source d'illusion car elle est
aveugle. On peut se croire indispensable. L'amère sagesse populaire nous dit que de ceux-là les cimetières sont remplis.
Mais il faut remarquer que le serviteur de l'Évangile n'est déclaré inutile qu'au
terme de son service. Et d'un service ponctuel
et fort
efficace: il a préparé le
dîner, s'est changé pour servir à table, et a présenté à son maître nourriture et boisson. Et tout cela de retour d'une rude journée de travail, à labourer les champs et à garder les bêtes.
On peut alors se demander comment il se fait que le maître ne témoigne pas de reconnaissance pour un serviteur si fidèle bien que déclaré inutile? En fait, il faut se souvenir que ce ne sont pas là des historiettes plus ou moins moralisantes et, dans ce passage, quelque peu farfelues: dans l'Évangile, il s'agit toujours d'une Parole de Révélation. Nous ne le prendrions pas au sérieux au point d'y jouer la totalité de notre vie s'il en était autrement.
Il faut se souvenir que le maître en question n'est autre" que Dieu lui-même et qu'il nous faut passer d'une histoire de la vie quotidienne à la compréhension de ce qui est en réalité une évocation des rapports entre Dieu et ceux qui le servent en faisant paître son peuple et en lui partageant le pain de vie. Jésus s'adresse à ses disciples. Il leur fait une recommandation décisive et dont les orgueils et les pouvoirs dont l'Église s'est si souvent encombrée au cours de ses 20 siècles d'histoire montrent qu'elle n'est pas inutile. La recommandation de ne jamais se prévaloir devant Dieu du service accompli dans la communauté. On a du mal encore, dans notre Cathédrale, à appeler le fauteuil d'où préside notre Évêque une cathèdre d'où il enseigne plutôt qu'un trône d'où il règne, et de parler de son ordination plutôt que de son sacre. Heureusement sa devise, venant de saint Paul, au-dessus de ce siège a opportunément gravé ces deux mots: serviteur et témoin. On ne peut mieux dire. Oui, serviteur comme le pape qui a eu aussi du mal, au fil des siècles, à quitter ses armures de conquérant et son rôle d'arbitre politique des Nations, du temps où il partageait le monde, et particulièrement le "Nouveau Monde", entre telle et telle nation, du mal à se déclarer enfin;
'Serviteur des serviteurs", au point de faire ricaner Staline qui demandait jadis combien de divisions il pouvait aligner devant les siennes.
Et si l'on se
demande
enfin comment s'articule cette parabole à la première réponse de
Jésus
concernant la foi, on pourrait dire qu'elle se présente comme un argument a fortiori, et on pourrait ajouter, en paraphrasant la réponse de Jésus
à la
demande des Apôtres "augmente en nous la foi" : avec
un tout
petit peu de foi, ce qui est bien la taille de la nôtre, une foi petite, bien petite, comme une graine de moutarde ou de sénevé,
nous pourrions déjà, si nous mettions cette foi en œuvre, demander à un sycomore de se déraciner pour aller se planter en mer, et
qu'Il nous obéisse. Alors,
avec
la même petite foi, nous pouvons aussi accomplir notre mission de serviteur du Royaume dans la plus complète gratuité,
sans
attendre d'autre récompense, comme le dit la prière de Saint Ignace qui est devenue celle des Scouts, "que de savoir que nous
faisons
votre sainte volonté". C'est
dans l'exercice même de
notre
vocation de serviteur
de l'Évangile que nous puisons notre totale satisfaction et notre plus grande joie, car en servant Dieu et le Royaume c'est notre propre espérance que nous servons, en servant le Maître de la vie c'est notre propre vie que nous faisons grandir, en servant le Ressuscité c/est notre résurrection que nous anticipons. Un peu, un peu seulement, comme la mère qui sert la
vie de son enfant, ou l'amant celle
de l'élu de son cœur, ne fait
rien
d/autre que de servir sa vie, de servir sa joie, de faire naître son'
espérance. Et quel serviteur plus inutile que le Christ sur la croix accomplissant la révélation de l'amour de Dieu pour
I'humanité ?
Bien
au-delà de l'utile,
le service! dans l'Église, est affaire d'amour et de confiance. C'est en devenant serviteur que du fait même on se met en marche vers le Royaume. Le mystère de la Foi s'éclaire alors en révélant qu'en Jésus le Maître et le Serviteur se rejoignent dans cette pleine communion d/amour que nous appelons l'Esprit- Saint... et qui nous est donné."
Père Blondeau
|