Sur la route d'Emmaüs.
"Les deux disciples qui discutent entre eux en s'éloignant
de Jérusalem sont plutôt, si l'on serre de près le texte
original, en train de se disputer. D'ailleurs l'ambiance est à la
tristesse et c'est sur le ton de l'énervement qu'ils rétorquent
à l'inconnu qui les aborde: «tu es bien le seul à ignorer...»."
A ignorer quoi? Un immense espoir déçu et qui s'est terminé en
tragédie. la mort, surtout tragique, apparaît toujours comme désespérante.
L'effort, la pédagogie du compagnon de route va être, précisément,
de donner du sens à la tragédie, et un sens plein d'espérance
puisqu'il s'ouvre sur la gloire: «ne fallait-il pas que le Messie
souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire?». Et ce sens se révèle
dans une juste compréhension des Écritures, ces Écritures qui
sont la trace précieuse de la longue expérience spirituelle de
tout un peuple qui ne cherchera pas Dieu ailleurs que dans son
histoire.
Voilà qui éclaire la grande peine que vit l'Église Catholique,
que nous nous vivons, et que partagent, chacun à leur façon et
pour des raisons dont on entend la diversité, beaucoup d'hommes
sur toute la planète, en tout cas ceux qui font entendre cette
peine par la voix de leurs dirigeants. Et la façon même dont le
Saint-Père a fait face à cette mort, rempli de force, de volonté
et de foi, illustre admirablement le message évangélique dont il
s'est fait l'inlassable témoin sur tous les chemins du monde.
Dans son ultime grand message sur l'Eucharistie, c'est justement
cette fraction du pain dont il parle. Elle conduit les disciples
à reconnaître enfin leur compagnon de route: ce Jésus qu'ils
pleurent, juste au moment où de fait ils se retrouvent seuls mais
le cœur tout brûlant, grâce à une meilleure compréhension des
Écritures.
le tombeau dans lequel va être déposé le corps de Jean-Paul II
sera celui de Jérusalem, un tombeau vide, oui, aussi vide que
celui trouvé par les femmes bouleversées au petit matin, et qui
ne contenait même plus le corps mort pour qu'il soit bien clair
que c'est au-delà de tous les signes de la mort qu'il faut
chercher la vie, qu'il faut chercher la vie, qu'il faut chercher
le Ressuscité. Le tombeau du Saint Père sera aussi vide que tous
les tombeaux du monde puisque la juste compréhension des Écritures
nous invite à reconnaître que la vie est ailleurs que dans les
tombeaux: ils ne contiennent que des enveloppes appelées tôt ou
tard à disparaître, voir, dans "notre modernité à être réduites
en cendre dans les heures qui suivent, quand ce n'est pas dans les
fours crématoires de notre tragique histoire européenne; nous
savons que cette histoire a cruellement blessé le destin de Carol
Wojtyla et qu11 en a été à la fois le contempteur courageux et
l'humble demandeur de pardon. Jean- Paul II est vivant désormais,
pour longtemps encore dans cette trace profonde qu'il aura laissée
dans l'histoire du monde et dans cette Église qu'il aura aimée
passionnément, pour toujours dans ce qui désormais l'unit
pleinement à ce Christ vivant dont il a été l'infatigable
messager et l'amoureux définitif. Il a été ce compagnon sur le
chemin d'Emmaüs, et la chaleur du cœur devant cette Absence qui
appelle notre foi ne l'a plus jamais quitté. Il n'a cessé de
reconnaître dans la fraction du pain le passage de celui qui par
elle nous pousse à rejoindre nos frères dans une volonté
d'inlassable solidarité, à reconnaître ces droits de l'homme
qu'il enracine dans sa foi et dont il n'a cessé d'être l'ardent
et courageux défenseur.
Alors? devant cette mort, comme les disciples d'Emmaüs,
surmontons notre tristesse dont l'excès pourrait être le signe
d'une foi incertaine, ouvrons les Écritures pour y trouver cette
consolation que tout croyant peut rencontrer s'il y ouvre son cœur
au point d'en ressentir la chaleur, la brûlure; courons-nous
aussi à Jérusalem, cette Jérusalem nouvelle qu'est l'Église
qui continue sa route, qui va bientôt accueillir un nouveau
berger. Il devra, «serviteur des serviteurs» comme le désigne
la Tradition, continuer à montrer pour le Peuple de Dieu, en ces
temps difficiles, les chemins qui le conduiront de plus en plus
vers l'attente des hommes d'aujourd'hui. Retenons le message décisif
de celui qui vient de nous quitter pour cet ailleurs qui a été
l'horizon permanent de son espérance: «N'ayez pas peur L...».
Oui, n'ayons pas peur.
Père Jean-Baptiste BLONDEAU
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