Sors.
"La totale humanité de Jésus. Elle affleure
à chaque page de l'Évangile. Et c'est par là qu11 nous
rejoint, qu11 nous habite, mystérieuse communion dans la foi où
peu à peu ce qu11 est vient nous, rejoindre, résonner en nous,
nous habiter,> Et cette habitat:ion intérieure est à la fois
la révélation la plus sûre de notre humanité, la manifestation
de ce Dieu de tendresse qu'en lui nous ne cessons de découvrir
comme le Dieu de notre foi. Vrai Dieu né du vrai Dieu, comme le
dit le Credo, dont on découvre que sa seule puissance est celle
de l'amour.
Alors, aujourd'hui Jésus pleure. Comme n'importe lequel d'entre
nous quand l'émotion est trop forte que ce soit la joie puisqu'on
peut pleurer de bonheur que ce soit la peine lorsque par exemple
un ami très cher vient soudain à vous manquer, englouti dans ce
mystère de la mort qui est au cœur du récit de ce dimanche. Jésus
pleure sur son ami Lazare, sur ses sœurs affligées, et en fin de
compte, comme il en est pour chacun d'entre nous sur l'humanité
entière soumise à la loi de la mort. Toute mort rencontrée préfigure
toujours la nôtre et à la peine s'ajoute le désarroi et
l'angoisse. C'est humain. Et Jésus est humain.
L'affectivité de Jésus est la conséquence de l'Incarnation et
elle révèle ce qui en Dieu lui-même correspond à notre
affectivité. Jésus pleure mais il dira en d'autres temps:
"Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés". La
tendresse de Jésus n'est pas faiblesse, elle n'est pas débâcle
affective, désolation larmoyante. C'est une tendresse efficace
comme doivent s'efforcer de l'être toutes celles qui se
manifestent comme un élan du cœur vers le malheur de nos frères.
Un chagrin pourrait être égoïste s'il ne se désolait que sur
le pleureur lui-même qui se voit arracher une part de sa vie, de
sa sécurité, de sa gratification affective. "Ah! je pleure
parce que tu vas beaucoup me manquer". Et voilà pourquoi Jésus
ne se limitera pas à rendre son ami Lazare à une vie provisoire,
et à se le rendre à lui-même du même coup, comme il avait
rendu son fils à la veuve de Naïm, Il entrera un jour dans ce
mystère de mort, dans ce grand désarroi de l'absence, de la séparation
non pour en ressortir comme en ressort Lazare, mais pour que désormais
toute absence toute séparation, soit annonciatrice d'un
bondissement dans la vie de Dieu. Jésus Ressuscité ne sera pas
reconnaissable comme a pu l'être Lazare que l'on retrouve à
nouveau à table avec lui, avec ses sœurs, et comme le retrouvent
les nombreux visiteurs qui viennent le voir.
Jésus Ressuscité! Marie-Madeleine le prendra pour le jardinier,
les compagnons d'Emmaüs pourront faire longue route avec lui sans
le reconnaître, et Jean le saura vivant à jamais devant un
tombeau vide. Et ces quatre jours où Lazare est dans
l'enfouissement de ce tombeau sont peut- être le signe de ce
temps de l'épreuve de la foi où nous vivons dans le souvenir de
nos morts, le temps et aussi la distance, l'absence: "si tu
avais été là...", dit Marié. "Allons..." dira Jésus,
alors qu'arrive la nouvelle de la mort. Devant toute mort ii nous
se,mble toujours que nous arrivons trop tard, impuissants. Que
Dieu était absent. Et c'est cette absence qu'il nous faut
traverser d'espérance. L'espérance que le Ressuscité,bien qu'il
soit invisible à nos regards humains, comme il l'était à Jean
au bord du tombeau, n'est jamais vraiment absent. Il est en chemin
pour venir nous rejoindre là où nous sommes, là où est notre
douleur, là où est notre espérance. Cette espérance dont
Marthe témoigne si bien. Invisible, le Ressuscité se dit encore
à nous par cette invitation à aller porter à nos frères la
bonne nouvelle de la victoire sur la mort. "Va...", dit
le Ressuscité à Marie-Madeleine, lâche-moi, à me retenir ainsi
tu vas me perdre. Va, comme à la femme adultère qu'il avait
relevé il avait déjà dit: "Va..." va vers une
nouvelle vie, libre du péché. Invisible le Ressuscité se
manifeste par le don de l'Esprit, par le don de la paix "c'est
ma paix que je vous donne..." Il se manifeste à Thomas comme
l'invitation à reconnaître dans ses plaies la trace d'un amour
qui va jusqu'au don de la vie et qui arrache alors cet autre cri
immense de la foi : "Mon Seigneur et mon Dieu!..."
En ce temps de Carême, nous entendons aussi, là où nous sommes,
le cri de Jésus qui nous invite à sortir du tombeau, d'une mort
sans espérance, ce cri qui nous donne l'ordre de
"sortir", qui est le même mot inaugurant l'Exode en
lequel Israël a pris naissance lorsqu'il quitte la servitude d'Égypte.
Jésus, ici, s'annonce, au delà du retour provisoire à la vie de
son ami Lazaret comme celui dont la voix arrache à la mort de façon
irréversible ceux qui croient en Lui. La mort physique, inéluctable,
n'est plus au premier plan. En Jean nous savons que tout miracle
est avant tout un signe. L'important est dans l'écoute de la
Parole: "En vérité, en vérité, je vous le dis: celui qui
écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé à la vie éternelle"
(Jean 5/24).
Père Jean-Baptiste BLONDEAU
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