Le
chaos
"Quel chaos nous décrit l'évangile de ce dimanche! On se croirait en
2004. Ou bien le monde a-t-il toujours été ainsi? Jadis on ne
pouvait voir que les malheurs rapprochés, ceux qui jaillissaient
des lieux où Von vivait, des gens que l'on côtoyait, ou ceux
qui, parfois, venaient soudain d'ailleurs. Aujourd'hui les fenêtres
des médias sont grandes ouvertes sur tous les malheurs du monde,
de la Côte d'Ivoire à l'Irak, d'Israël et de la Palestine à la
Tchétchénie, ou d'un terrible 11 septembre à New York, à l'école
de cette petite ville d'Ingoutchan. La fin du monde ou la fin d'un
monde? Qui peut savoir?
Jésus, sans doute,
en ouvrant les yeux sur le monde qui l'entoure, voit bien des
choses lui aussi. car la situation d'alors était tragique.
Partout des mouvements contestataires, des groupes armés, de la
violence, une armée d'occupation, de la duplicité
politico-religieuse. Et des gens qui fuient ce monde et semblent
le considérer comme irrémédiablement perdu, mauvais, maudit,
qui fuient à Quoumran ou ailleurs, dans les déserts, ermites,
entre- eux, abandonnant les hommes à leur triste sort. D'ailleurs
Jésus n'a-t-il pas parmi ses disciples un ancien terroriste, on
les appelait les Zélotes, et lui s'appelle Simon... Et Barrabas,
qu'on lui préfèrera pour le sauver du gibet, avait été
emprisonné pour meurtre lors d'une émeute. On sait enfin que
tout cela se terminera en 70 par une guerre qui fera du magnifique
Temple de Jérusalem, le Notre-Dame de Paris de l'époque, ou le
Vatican, ou la cathédrale de Perpignan, un champ de ruines parsemé
de cadavres.
Or le regard de Jésus est, si l'on ose dire, un regard moderne.
Sans Presse ni Télé, il voit loin: "On se dressera nation
contre nation, royaume contre royaume", et l'on sait que les
catastrophes naturelles qu'il décrit sont de tous les temps et de
tous les lieux. Étant donné ce qu'est le cœur de l'homme,
puisque c'est la source de tant de nos malheurs, et qu'il connaît
bien ce cœur de pierre, il est facile en effet de prévoir que
tout ne peut aller qu'en
empirant. Qu'est-ce que la destruction de Jérusalem à côté de
nos deux dernières
guerres mondiales, ou d'Hiroshima et de Nagasaki, qu'est-ce que le
drame de Massada à côté de la Shoah. Il y a de quoi s'enfuir au
fin fond du désert, à Quoumran ou ailleurs. Jésus, lui, ne
s'enfuira pas, bien qu'il sache, et bientôt d'expérience,
que les pires violences se
précipitent souvent sur ceux qui essaient de faire entendre une
autre musique dont les notes sont celles de la paix, de la miséricorde,
de la tolérance, de la justice, etc.., de toutes ces choses qu'il
est plus facile d'énumérer que de mettre en œuvre et qui se résument
en un mot: l'amour. Et ne dira-t-il pas à ses disciples: "je
vous envoie comme des brebis au milieu des loups..."? Voilà
pourquoi quand des chrétiens ont pris les armes pour réformer
le monde, et pas seulement aux temps des croisades, quand ils ont
dressé des bûchers pour le purifier, ils étaient en
totale contradiction avec Jésus et son message.
Mais, en filigrane, sous l'inquiétante description de Jésus,
on en pressent une autre qui lui donne tout son sens, et c'est un
sens < d'espérance et non de désespoir. Ailleurs, dans l'évangile,
Jésus parlera encore de la destruction du Temple, cette
douloureuse catastrophe pour le Peuple d'Israël. Mais il dira que
ce Temple, c'est son corps et qu'en trois jours il sera rebâti.
Trois jours, c'est ce qui sépare l'apparent désastre du Vendredi
Saint du matin de Pâque, de l'aube de résurrection qui vient
enfin traverser tous les malheurs de l'homme d'une immense espérance.
Le Temple de Jérusalem était, nous dit l'Écriture, l'habitation
de Dieu parmi les hommes. Jésus, pour les chrétiens, est
l'habitation de Dieu parmi les hommes. Mais une
habitation qui désormais n'est plus de ~ pierres, pour belles et
majestueuses qu'elles soient, Temple ou cathédrales, mais de
chair, cette chair ressuscitée, cette chair partagée en chaque
eucharistie pour traverser de fraternelle communion toutes nos
divisions, sources de bien des malheurs du monde.
Et l'Église, nous le savons, a pour mission d'étendre au monde
entier cette communion fraternelle nourrie du corps ressuscité de
Jésus, seule capable de changer en cœur de chair nos cœurs de
pierre, seule capable, par conséquent de manifester la résurrection
du monde, des morts, de la mort, résurrection déjà présente
mais qui ne se manifeste que par notre conversion, le témoignage
d'une vie transformée par l'accueil de l'Évangile. Quelle
urgence alors que la mission ! L'Eucharistie n'est certes pas une
dévotion, elle est la source immense d'une espérance qui peut
soulever l'humanité et dont nous sommes responsables. La mort de
Jésus est le commencement, non pas de la fin du monde, mais de la
fin d'un monde, oui, avènement d'un monde nouveau dont la
naissance s'annonce au matin de Pâque. Voilà pourquoi l'Évangile
aujourd'hui se termine par la proclamation de la victoire de la
vie: "C'est par votre persévérance que " vous gagnerez
la vie!."
Père Blondeau
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