L'homme icône de Dieu.
"Comment aimer quelqu'un qu'on ne voit pas ? Nous avons un si ardent besoin de présence. Et de présence sensible. Voir, sentir, toucher, étreindre. L'absence est toujours un déchirement, quoiqu'en disent les belles formules que l'on trouve pour se consoler, se faire une raison quand l'absence est inéluctable, voire définitive, comme tous ces deuils qui peu à peu retranchent de notre vie tous ceux qui y laissent l'indélébile cicatrice de leur manque.
Alors comment aimer Dieu ? Et même comment aimer Jésus sans que ce ne soit que paroles des lèvres et non du coeur ? Les mots d'amour éclatent dans la rencontre et dans l'étreinte.
D'abord en reconnaissant que dans toute présence, il y a toujours une absence. Dans tout amour, une solitude. Inévitable, plus encore
nécessaire. On aime vraiment qu'en gardant les mains ouvertes. Quand la main se referme pour retenir, elle ne retient qu'un sable qui s'écoule et
disparaît. Aimer l'autre, c'est le désirer, donc le garder toujours à distance. C'est son mystère que nous aimons, cette profondeur qui au coeur de son être fait qu'il ne peut jamais être un objet que nous posséderions, dont nous aurions fait le tour. Cet amour là est impossible , il est faux, il manque toujours , ce dont en définitive il
cherche à faire sa proie. L'amour ne peut jamais être une possession. C'est l'esprit du mal qui "possède", ce non-amour qui divise mortellement et tue le désir dans les fausses délices des idolâtries trompeuses.
Dieu que nous aimons, parce que nous l'affirmons: l'absolu de l'amour, sera en un sens l'absolu de la distance, de l'altérité, de l'absence, pour être l'absolu de ce désir qu'il met en nos coeurs et que nous appelons la foi. Déjà la vieille Bible affirmait "nul ne peut voir Dieu sans mourir". Le prophète Élie, modèle de la mystique amoureuse, le pressentait dans un souffle léger qui passait derrière lui, hors de son regard.
Aimer Dieu, pour un chrétien, c'est aimer le Christ. "Qui me voit, voit le Père" dira Jésus à Philippe. Le Christ est pour nous la porte du mystère, la porte de cette absence infinie qui aimante l'aspiration de notre foi, de ce désir de vie, de sens, d'éternité qui de façon poignante étreint le coeur de l'homme. Or nous dit l'Écriture, aimer le Christ c'est rester fidèle à sa parole. La parole, toujours, institue la présence. Et la parole
qu'Il nous laisse, celle qui en elle contient toutes les autres, c'est "de nous aimer les uns les autres". La parole nous dit que cet amour pour le Christ que nous ne voyons pas, et "heureux ceux qui croit sans avoir vu", se matérialise, se concrétise dans notre amour pour le prochain. Qui est mon prochain ? Tout être humain dont je "m'approche", non pour le posséder, mais pour le servir dans cette dépossession de moi-même qui est en vérité la véritable "dé-possession" du Malin. L'amour exorcise la mal. Depuis l'incarnation nous pouvons
reconnaître que toute humanité est présence du Christ, et par conséquent présence de Dieu. L'amour de Dieu est ce qui me fait aller vers l'autre pour le servir mais sans jamais le retenir. L'homme, mon frère, en Christ devient la véritable icône de Dieu.
Il y faut seulement l'élan de notre liberté et de notre confiance, et vouloir tendre les mains vers ces plaies qui sont la marque de l'amour."
Père BLONDEAU |