Dieu
et César.
"Tragique entrevue. Elle est le fruit d'une concertation préalable
malveillante. On prépare le piège. On en polit les termes,
"Ils se concertèrent pour voir comment prendre Jésus en
faute". le piège, comme il arrive souvent, sera enrobé dans
des flatteries préalables, cauteleuses et perfides. Et nous
savons à quel point nos paroles, quand c'est la malveillance qui
les entend, peuvent se retourner contre nous et devenir des armes
mortelles. Plus tard, devant Caïphe, devant Pilate, ce sont les
paroles retenues contre Jésus qui serviront à le faire
condamner. Il semble que pour cette fois il réussit à s'en
tirer. Encore faut-il le bien comprendre, et s'il parvient, en
quelque sorte, à clouer le bec des sbires que lui envoient les
pharisiens, il faut reconnaître que sa réponse peut aujourd'hui
nous mettre dans l'embarras.
En cette année du centenaire de la loi de séparation des Églises
et de l'État, nous protestons parfois contre ceux qui veulent
l'appliquer de façon que nous qualifions de sectaire, ceux qui
veulent en particulier nous confiner dans les sacristies et récuser
toute influence religieuse dans un espace public qui ne pourrait
être le lieu que d'une stricte neutralité. Mais la neutralité
est-elle le vide? Est-elle l'affirmation d'une société humaine
qui pour vivre dans l'harmonie ne pourrait admettre qu'un
fonctionnement purement objectif, mécanique en quelque sorte, stérilisé
de quelque influence que ce soit? Est-ce d'ailleurs possible sans
reconnaître qu'en réalité toute société humaine étant
constituée de sujets ne peut échapper à la subjectivité? En réalité,
le champ n'est jamais vide et il n'est pires idéologies que
celtes qui dissimulent leur visage sous les traits des évidences
qui iraient de soi, quand elles ne se parent pas d'une illusoire
caution scientifique où l'homme perdrait alors toute initiative;
toute liberté, rouage bien huilé par les burettes du laïcisme
ou du scientisme.
Alors, le fameux "rendez à César ce qui est à César et à
Dieu ce qui est à Dieu" nous poserait vraiment question s11
venait conforter cette vision et dire que les croyances en général;
la foi religieuse, chrétienne en ce qui nous concerne, n'ont rien
à dire à propos du fonctionnement de nos sociétés laïques.
Dieu n'avait-il vraiment rien à dire à César? la déclaration
conciliaire de Vatican II Dignitatis Humenae a apporté en ce
domaine de grandes lumières dont on n'a pas fini d'approfondir et
d'expliciter la teneur, rappelant en particulier que "c'est
une injustice à ('égard de la personne humaine et de l'ordre même
établi par Dieu pour les hommes que de refuser à l'homme le
libre exercice de la religion dans la société, dès lors que le
juste ordre public est respecté (3)..." et en matière
religieuse nul ne peut être empêcher d'agir, dans de justes
limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou
en association avec d'autres (2) ". Aussi comme le rappelait
l'historien René Rémond, la laïcité ne peut être une
philosophie négatrice du religieux mais doit au contraire
s'affirmer dans une conception pluraliste et respectueuse des
convictions personnelles".
Non, rendre à César et à Dieu ce qui leur revient, n'est pas
comme tend à le faire la, France comme état libéral laïque et
neutre le renvoi du religieux à la sphère individuelle, ce qui
serait d'une grande pauvreté dans la mesure où, comme l'a
souvent rappelé Jean-Paul II, la liberté religieuse est la
pierre angulaire dans j'édifice des droits humains, la mesure des
autres droits fondamentaux. Partout où se sont imposés des
totalitarismes, de droite comme de gauche, on a vu le sort qu'ont
subi les religions, quelles qu'elles soient.
Mais alors, comment comprendre la réponse de Jésus dont on a
fait peut- être trop facilement le proverbe d'une sagesse
populaire 'sommaire? En'
reconnaissant d'abord que, de fait, il y a dans les choses et le déroulement
des évènements une logique qui n'a pas besoin d'une référence
à Dieu pour s'exercer. Les choses parlent d'elles-mêmes, et le
croyant, en ce qui le concerne, sait que se soumettre au réel
c'est se soumettre' à Dieu. Dieu ne change pas l'inéluctable,
mais la foi peut lui donner du sens, et quel sens plus fort que
celui que le chrétien puise dans le mystère pascal et dans cette
victoire du Christ sur la mort affirmant que toute mort est
traversée d'espérance. César est le gestionnaire de ce réel et
il appartient aux chrétiens d'y témoigner de la positivité
qu'apportent dans son fonctionnement les valeurs évangéliques de
paix, de justice, de tolérance, de fraternité, qu'aujourd'hui
d'ailleurs les Droits de l'Homme les plus profanes présentent
comme 11déal et dont le chrétien connaît les sources qui les
inspirent, qui les habitent. Ainsi nous sommes, dans la société,
au service de Dieu en servant les autres, mais sans nous servir de
Dieu pour imposer nos choix, sans faire de Dieu 11nstrument d'une
domination, et ce travers là pas toujours été absent de
nos sociétés chrétiennes. Nous savons à quel point l'anticléricalisme
a pu être le fruit direct du cléricalisme.
C'est à travers notre courage et le témoignage fidèle de l'Évangile
que Dieu se révèlera actif dans la société où, pour finir,
plus nous rendrons à Dieu, plus nous rendrons à César. C'est ce
qu'écrivait déjà le Père Hevenesi, Jésuite hongrois, en 1705:
'7elle est la première règle de ceux qui agissent: crois en Dieu
comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de
Dieu. Cependant mets tout en œuvre en elles comme si rien ne
devait être fait par toi, et tout par Dieu seul".
Père BLONDEAU.
|
|