Un juste.
"Joseph était un homme juste. C'est-à-dire que si l'on s'en tient à la juridiction définit par la loi biblique, la loi dont il relève, devant les faits tels qu'il les rencontre, Joseph est tenu à une dénonciation publique. Si la femme qui lui est promise attend un enfant dont il n'est pas le père, la loi ne lui laisse pas d'autre alternative. Aujourd'hui encore, dans certaines régions où la loi est fondée sur une justice religieuse, et dont l'application est dans les mains des religieux, certaines décisions de ce genre contribuent à défrayer la chronique, relayée par les médias,. Et l'on sait la conséquence pénale de l'application d'une telle justice: la lapidation.
Or la justice de Joseph va consister... à enfreindre la loi! "II décide de la répudier en secret". Oui, voici que pointe déjà, dans la proximité mystérieuse de l'enfant qui va naître, la contestation d'un juridisme religieux que bien plus tard Saint Paul explicitera avec éclat. Il y a une loi, même religieuse, qui peut tuer. Or le Dieu qui dans le sein de Marie commence à entrer discrètement en humanité n'est pas le Dieu de la mort mais de la vie, parce qu'il est le Dieu de l'amour et de la liberté.. Nouvelle loi que celle-là, loi de l'amour que Saint Augustin, plus tard encore, exprimera dans l'admirable formule que l'on connaît: Ama et fac quod vis, aime et fais ce que tu veux. Car alors, ajoutait-il, toute action se faisant sous l'impulsion du "pondus
amoris", du poids de l'amour, ne pourra aller qu'en direction du bonheur et de l'épanouissement de l'homme. Ce que Marie exprimera dans l'Écriture par sa célèbre exclamation: "Le Seigneur a fait pour moi des merveilles !". Cet enfant venu d'ailleurs est merveille lui qui est en train, déjà, chez Joseph, d'introduire l'émergence d'une justice nouvelle: la justice qui fait vivre, celle
qui fait de nous non pas des justiciables
mais
des justifiés.
Ce n'est certes pas un chemin de facilité. Bien au contraire. Nous le savons, l'amour est le lieu des plus hautes exigences car rien n'en limite les attentes,
les exigences et souvent
même
les rudes renoncements qu'il appelle au nom
de la confiance. Avec l'amour, impossible d'enfermer les comportements de sa fidélité dans l'application scrupuleuse mais limitée des articles d'une loi. Avec l'amour, on n'est jamais quitte, on n'est jamais en règle, mais toujours en élan, en soif, en désir. L'amour seul fait pressentir l'infini.
Et voilà qu'en effet, au nom de sa fidélité à une autre loi, avec ce dépassement de la simple justice Joseph dépasse le juridique et le biologique pour entrer dans le mystère de l'amour de Dieu. Voilà Joseph que l'Écriture nous montre comme dépossédé de sa paternité, mystérieux arrachement que rejoindra un jour Marie elle-même lorsque son fils répondra à ceux qui lui disent: "Ta mère et tes frères sont là qui t'attendent...":
"qui est ma mère, qui sont mes frères ?.", Et montrant la foule qui l'entoure il
poursuivra par cette
singulière déclaration: "Voici
mon père, ma mère,
mes frères... tous ceux qui font
la volonté de mon
Père qui est aux cieux".
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Et du coup Marie elle-même est arrachée à la
particularité de son rôle biologique pour devenir au pied de la croix la mère
de tous
les croyants,
comme
Joseph l'est aujourd'hui pour devenir, dit l'Écriture,
le modèle
de
l'homme juste, accomplissant cette lente maturation du devenir de la
justice en
Israël.
Plus
tard,
dira Saint Paul
aux Éphésiens,
le Père de qui découle toute paternité (3/5) se dépossèdera lui-même de son Fils
afin qu'il
accomplisse
sur la croix, en notre faveur, le plus haut
témoignage de l'amour qui
deviendra
la source
de toute
justification. Voilà qui nous invite, parents,
époux, amis, lorsque nous disons: mon enfant, mon époux, mon épouse, mon ami, à toujours nous défier de ce possessif.
Joseph, aujourd'hui, nous rappelle que
tout être aimé
ne nous appartient pas, l'amour ne donne
pas droit de propriété,
il est appel à servir, à donner de sa vie, à donner sa vie dira Jésus,
Tout être
aimé pour s'appartenir à lui-même, doit appartenir aux autres, à ce mystérieux pluriel
que montre la
communauté humaine, qui montre l'Église signe de ce lieu où il apparaît que la seule appartenance
qui
fasse pleinement vivre et exister est l'appartenance à Dieu,
celle
que reconnaît Joseph par la voix de l'ange. L'Écriture nous
dit!
en ce
temps d'Avent, que l'enfant qui va naître ne
sera
pas pour
Joseph
ni pour Marie seuls, mais pour le salut du peuple: "tu lui donneras le nom de
Jésus", c'est-à-dire "Le Seigneur sauve". Que l'Esprit- Saint, à l'imitation de
Joseph,
de Marie nous
aide à cette dépossession
qui ouvre les portes
de nos cœurs à 'la joie de l'amour,
vrai
chemin d'une
éternité pressentie".
Père Jean-Baptiste BLONDEAU
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