La méprise

"Jésus fait un triomphe. Une entrée vraiment royale dans cette ville symbole de tous les espoirs, qui porte dans son nom les lettres de ta paix, et qui est le lieu de tous les déchirements. Aujourd'hui encore. Un triomphe royal. Hosanna au fils de David 1 Oui, David, le grand roi prestigieux qui laisse en Israël le souvenir d'une époque de grandeur politique qui se poursuivra par l'apothéose du Temple de Salomon. Jésus, un nouveau roi pour ce royaume alors bien déconfit sous une implacable occupation romaine, source de toutes les résistances et de toutes le collaborations, vénéneuse alternative que tout le monde connaît. Situation piégeante qui va bientôt se refermer sur Lui. Il est préférable qu'un seul meure poùr le peuple, dira quelqu'un. Pauvre roi d'un jour qui devient vite le bouc émissaire.- Libérez plutôt Barabas, les criminels sont moins gênants que les prophètes.

Mais cette entrée royale en cache une autre, et la foule ambiguë qui acclame Jésus ne se doute pas qu'elle exprime un triomphe à venir dont elle n'a même pas idée. Et parce que ce triomphe va devoir passer d1abord par le rejet, le refus, l'humiliation, la torture et la mort, elle aura tôt fait de se disperser. Et plus encore, comme c'est souvent le cas, de se retourner. Peut-être déçue de voir soudain en si piteuse posture celui qu'elle avait accueilli dans l'enthousiasme aux portes de Jérusalem. Car ce qu'elle acclamait alors c'était la puissance humaine, la prise de pouvoir. Or celui qui arrive monté sur une ânesse a dit non, un jour - au désert -, à cette éventualité que la totalité de l'histoire humaine montre comme étant sans réel avenir. Les uns après les autres les royaumes s'écroulent. Devant Pilate Jésus affirmera: "mon royaume n'est pas de ce monde".

Certes Jésus va bientôt prendre le pouvoir, mais ce sera par la faiblesse, et sur des puissances autrement redoutables que la puissance humaine, sur ce que l'Écriture appelle "les puissances et les dominations", ce mal, au cœur de toutes choses et de tout être qui ne peut se vaincre que par la force de l'amour, ce mal dont Saint Paul dira que l'ultime ennemi qui le porte est la mort. Oui, la foule a à la fois tort et raison: Jésus va prendre le pouvoir mais à sa façon. Comme il en témoigne lu i- même à chaque page de l'Évangile, le pouvoir est service dans ce royaume où le premier se fait le dernier et où Je Seigneur de l'univers lave les pieds de ses amis. la royauté n'a rien à voir avec les royautés humaines, lui dont le trône va bientôt être celui de la Croix. Vers ce trône Jésus va s'avancer seul, les foules vont se disperser et même ses plus proches fidèles vont l'abandonner, déçus eux aussi dans leur rêve de gloire.
Mais alors, où est la toute-puissance divine dont nous nous scandalisons si fort lorsque nous ne la trouvons pas plus capable de résoudre nos malheurs et nos demandes qu'elle ne va pas l'être d'empêcher quelques jours après cet illusoire triomphe la mort de l'innocent? Oui, c'est toujours l'énorme scandale: que fait Dieu pour empêcher la souffrance et la mort de l'innocent? Qui n'a eu cette pensée au moment du malheur: s'il y avait un Dieu, la maladie, la guerre, le Tsunami, le Calvaire, ça ne $e passerait pas comme ça.

En vérité, ce qui va se révéler en Jésus, c'est que le mal, le péché, c'est le contraire de l'amour, le contraire de Dieu. Pas étonnant qu'ils s'abattent de toute leur violence sur celui qui n'est qu'amour et qui au nom de l'amour prend toute distance par rapport à l'ambiguïté des illusions des pouvoirs humains. En Jésus, Dieu se soumet à la perversité de l'homme. Mais c'est pour la traverser de cela qui peut seulement la purifier, la délivrer, la retourner: la puissance de l'amour, le don de soi jusqu'au don de la vie. la Toute-puissance de Dieu, la toute-puissance de son amour éclatera au matin de Pâques où sera annoncée la victoire sur la mort et où l'univers tout entier acclamera l'entrée du Roi de gloire dans la Jérusalem céleste. C'est vers elle et vers son Roi que se tourne notre foi et notre espérance..

Père Jean-Baptiste BLONDEAU