Conversion
"Il y a urgence à se convertir. Un roman
de l'écrivain Gilbert Cesbron s'intitulait: "Il est plus
tard que tu ne penses". Oui, jeunes ou vieux, il est toujours
plus tard que nous le pensons, car chacun sait qu'elle vient
souvent à l'improviste la redoutable camarde dont la visite est
fatale. Mais il n'y a là qu'une bien imparfaite raison pour nous
pousser à la conversion, d'autant plus que l'on dit parfois que
c'est quand le diable se fait vieux qu'il devient ermite ! En tout
cas aujourd'hui, ce n'est pas la raison que donne Jésus pour
rappeler l'urgence. Ce serait plutôt l'inverse : c'est de ne pas
se convertir qui risque d'être mortel. Qu'est-ce à dire?
Cela ne veut pas dire non plus que la mort risque de frapper ceux
qui tarderaient à cette conversion. Comme si la mort était un châtiment
du péché. Vieille idée qui traîne dans toutes les religions et
que l'on a même retrouvé chez nous au moment où éclatait la désastreuse
épidémie du Sida. Ce Dieu là en tout cas n'est pas celui de Jésus...
C'est ce qu'il nous dit dans cette page d'Évangile, dans toutes
les pages. La religion qui va se développer, enracinée dans sa
Parole et dans toute sa geste messianique est toute entière une
religion de l'amour. Et Dieu qui en lui prend figure humaine se
dit par lui comme un Dieu d'amour, un Dieu-Amour, un Dieu
amoureux. Il n'a pas d'autre puissance que celle là, comme le
montreront, inséparablement liés, l'impuissance de la Croix et
la toute puissance de la Résurrection.
Non, pour Jésus, la conversion, c'est en elle-même un enjeu de
vie et de mort. Elle n'est pas un mystère d'extériorité, comme
l'exigence jalouse d'un Dieu vindicatif, elle est toute entière
mystère d'intériorité, mystère de fécondité, dit Jésus. Et
la fécondité est justement le fruit de l'amour quand il est
authentique. Ne pas se convertir c'est périr comme s'arrêter de
respirer c'est périr, et, plus précisément encore, s'arrêter
d'aimer ce n'est plus vivre. Comme l'écrit Saint Paul aux
Corinthiens, et comme le chantait Edith Piaf, sans amour on n'est
rien du tout.
Car il faut bien comprendre ce qu'est la conversion évangélique.
Ce n'est pas se convertir à une meilleure pratique, à un
meilleur comportement éthique, ou même religieux. Et c'est
d'ailleurs pour cela que la conversion chrétienne concerne tout
le monde, même le plus juste, le plus pratiquant, le plus moral
des hommes, comme ces hommes pieux faisant leur dévotion au
Temple de Jérusalem et soudain emportés par la violence aveugle
du procurateur romain, ou ces pauvres diables sur la tête
desquels s'écroule soudain la fragile tour de Siloé. Se
convertir, en christianisme, c'est "se tourner-vers".
Vers celui qui vient nous trouver. C'est précisément ce que nous
propose de rajeunir le temps du Carême: cette volonté confiante
et fidèle de mettre le Christ au centre de nos vies en nous
souvenant qu'il vient aujourd'hui à notre rencontre à travers
tout homme. Et voilà pourquoi, entre autre, le CCFD en ces jours
nous invite à un effort de solidarité et de partage. Il ne
s'agit pas de renforcer la loi, ce que nous avons parfois tendance
à faire pendant le Carême, il s'agit au contraire de passer de
la loi à l'amour. Et l'amour, toujours, produit des oeuvres, il
est fécond sauf à être un égoïsme dissimulé. Et voilà
pourquoi Jésus raconte son histoire de figuier stérile.
Voilà le grand paradoxe chrétien, ce qui nous fait vivre, ce qui
nous sauve de la mort, ce qui nous "justifie", ce n'est
pas la recherche facilement suffisante, de notre propre
perfection, rais c'est la recherche de "l'Autre", et
elle passe par la recherche des autres. Ce que vous avez fait ou
refusé au plus petit d'entre les miens... on connaît la suite.
Et la Bonne Nouvelle c'est que tous promis à la mort, jeunes ou
vieux, accidentelle ou de vieillesse au fond de son lit, nous
sommes en fin de compte promis à la vie. Et c'est croire à la
victoire de la vie qui nous délivre de nous-mêmes, de nos
repliements, de nos violences, de nos égoïsmes peureux, de cette
illusion fatale de penser assurer notre vie dans la puissance
humaine, dans l'argent, dans un savoir enfermé en lui-même ou
n'importe quelle autre idole. Oui, se convertir, c'est se détourner
des idoles qui mènent à la mort inéluctable, fusse par un
chemin de délices, pour se tourner vers le Dieu vivant qui nous
fait vivre. Et même si l'arbre de nos vies est déjà mort, il
reste le travail du jardinier pour le faire revivre, le jardinier
qui est Dieu lui-même au travail en nous par et dans le Christ.".
Père BLONDEAU |