LES
CHEMINS DE LA JUSTICE
"Pour qu'une relation
soit possible, il faut en nous
un
certain vide. Ne dit-on
pas, parfois, que certaines personnes sont pleines d'elles-mêmes? Il faut s'éprouver insuffisant pour avoir besoin de l'autre.
Un
être suffisant rend la rencontre impossible. La plus
haute
relation est celle de l'amour. Comment peut-on aimer, comment pourrait aimer, celui qui est plein de lui-même, suffisant? Aimer! c'est toujours prendre un risque, le risque justement d'une insuffisance découverte en nous qui ne pourra désormais être comblée que par l'amour de l'autre. Et si cet amour vient à manquer alors c'est
le
drame, la blessure, l'épreuve du manque et cette redoutable fragilité que cela soudain révèle en mon être profond. Peut-être est-ce la peur de cette souffrance et le pressentiment de cette fragilité qui peut nous rendre suffisants et pleins de nous-mêmes, comme hermétiquement
clos.
Mais alors c'est la solitude et
l'asphyxie du cœur. Cercle vicieux? L'Évangile nous propose justement de le transformer en cercle vertueux.
L'amour est créateur. Nous en avons tous l'expérience. Et le couple humain le premier, homme et femme, traversé au cœur de son amour par cette puissance créatrice qui vient de loin. Mais pour que la création soit possible,
il
faut de l'espace. Aucun fruit de l'amour ne peut trouver de place dans l'espace fermé de nos égoïsmes. Dieu qui est amour doit trouver devant lui un homme
qui soit comme une page blanche sur
laquelle
il pourra dessiner une présence, un visage
à son image et à sa ressemblance,
comme
dit la Bible. Le pharisien qui se tenait debout au beau milieu du sanctuaire a déjà tout
écrit
de sa vie, il est programmé, Dieu n'a plus de place, lui dont l'irruption est toujours une surprise. Voyez
Marie,
la page blanche par excellence et qui ne s'attendait pas
du tout au dessein de Dieu, qui sera l'habitation en elle de la Parole qui sauve.
Nous sommes parfois ce Pharisien. Nous sommes devant Dieu comme il est devant Dieu. Tout est écrit. Les
codes de Droit,
canoniques ou autres, les certitudes morales, les constructions théologiques, les pratiques cultuelles qu'on veut à tout prix afficher, réchauffer, parce qu'au fond elles nous sécurisent en nous protégeant: "Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme...
". Et cette tatillonne mise en conformité nous
rassure,
quand elle ne
nous permet pas,. subrepticement, d'exercer des pouvoirs qui nous font porter
sur les autres un regard méprisant: "Je ne suis pas comme les autres hommes... ni même comme ce collecteur
d'impôts". Aucun blanc
sur les
pages de nos vies, Dieu ne peut rien écrire de nouveau, lui qui est la permanente nouveauté, celle de l'amour, lui qui ne cesse de surprendre
les prophètes, jusqu'à
Zacharie
dans son Temple et Marie dans sa virginité. Oui, le Pharisien semble avoir tout juste
mais
en réalité le bien
qu'il
fait et qu'il énumère en bombant le torse c'est à lui-même qu'il le
fait, et il a tout faux. Quand il revient chez lui il n'est pas "justifié" dit l'Évangile.
Et Jésus nous montre alors, tout au fond, sur le seuil du Temple où il n'ose même pas s'avancer, un autre homme, bien insuffisant celui-là, le bas de gamme de la société, un voleur dont la richesse vient de ce qu'il
exploite ses concitoyens.
Mais
à la différence du pharisien ce publicain a
conscience de son insuffisance. Il est ce qu'il est, peu importe, ce n'est pas reluisant à vue humaine bien sûr, mais ce vide reconnu va appeler une plénitude. Au sens le plus évangélique du terme il est
""aimable", Et
c'est ce qui va se passer. Dieu trouve en lui de la place pour
y faire
advenir la nouveauté de son pardon, de sa justification, cette justice biblique qui est cette façon qu'a Dieu de jeter les yeux sur "son humble
servante, de disperser
les
hommes à la pensée orgueilleuse, d'élever les
humbles, de combler de biens les affamés et de renvoyer les riches les mains vides" (Luc 1/51-53). Que donner en effet à celui qui pense tout avoir, être parfait, supérieur
?...
Alors; soyons ce Publicain. Ne soyons sûrs de rien et surtout pas de nous- mêmes. Ne cherchons pas à nous approprier le bien que nous faisons, qu'il soit plutôt la circulation de cet amour qui ne peut venir que du don de Dieu vers lequel nous tendons les mains. Ne revendiquons aucun pouvoir et surtout pas celui que nous tirerions d'une situation de Pharisien, c'est-à-dire de purs, de consacrés, de professionnels du "religieux", tentation subtile qui n'épargne pas l'Église car elle n'épargne
personne. Soyons assez
libres dans
un amour enraciné dans la confiance
en Dieu pour que nous avancions vers Dieu et vers nos frères, puisque Jésus nous dit qu'ils sont inséparables, les mains nues, le cœur disponible
et prêts aux
surprises
que nous réserve l'amour de Dieu qui a justifié, au fond du Temple, le pauvre type qu'était ce Publicain. Efforçons-nous enfin de porter sur nos frères le même regard libérateur que Dieu porte... sur nous!"
Père Blondeau
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