Un bain de sang.
"Entre la ,fuite en Égypte et le retour
à Nazareth, un vrai bain de sang! le pire. On massacre des
enfants, tous les enfants de moins de deux ans, à Bethléem et
sur le territoire de la commune. Bethléem, le lieu de la
naissance de Noël, le lieu de la grande joie et de la tendresse,
chantées par les anges qui annoncent la paix, visitées par les
bergers, pauvres exclus d'alors projetés soudain aux premières
loges d'une actualité de salut, revisitées par ces Mages dont
les besaces sont remplies de beaux cadeaux. l'Écriture clôture
mystérieusement cette fête dont les crèches de nos églises
gardent encore les signes, par ce drame que la liturgie n'ose même
pas évoquer puisqu'elle le passe sous silence par une césure de
l'Évangile réduit à l'aller-retour Bethléem - Égypte et Égypte
- Nazareth, Nazareth tout au Nord, le village de la naissance n'étant
pas encore assez sûr. Si l'Écriture est ainsi, que veut-
elle donc nous dire?
C'est aujourd'hui la fête de la Sainte Famille. On n'a pas
tellement envie, en ce moment, de faire de belles considérations
sur les charmes de la vie familiale. Tant de tableaux la représentant
ont peut-être égaré notre juste compréhension du message. Ce
beau petit bébé, entouré calmement par un paisible Saint Joseph
et une douce Sainte Vierge: ce n'est pas le climat du texte
biblique, déjà. Si cette famille là est unie, c'est dans le
malheur. les aléas d'une naissance inconfortable et aujourd'hui,
"exil, le déplacement en terre étrangère, sous menace de
mort, avec prise et assassinat d'otages, pas quelques unités,
toute une classe d'âge de garçons, de 0 à 2 ans. Et le retour
difficile dans une Galilée inhospitalière et de mauvaise réputation.
À l'époque pire que les Minguettes ou la Courneuve. D'ailleurs
à cet enfant, quand il grandit, comme ça arrive souvent, ça va
lui coller à la peau: "il sera appelé Nazaréen", dit
l'Évangile et ce n'est pas flatteur, ne serait-ce qu'à cause de
l'accent, et surtout parce que le coin est mal famé, plein d'étrangers
et de païens. D'ailleurs, un jour l'insulte jaillira "Que
peut-il sortir de bon de Nazareth ?".
Et si le "message" nous invite justement à tourner nos
regards, nos pensées, notre foi, vers ce drame de famille qui a
bien du mal à émerger des visions lénifiantes, un peu sucrée,
qui ont accablé l'imaginaire chrétien, c'est que cette
famille là, la Sainte Famille comme nous disons, et comme ne dit
pas l'Écriture, elle vient rejoindre les malheurs de tant de
familles humaines qui sont comme la brebis perdue vers laquelle se
précipite la sollicitude de l'amour de Dieu, laissant dans leur
bercail tranquille celles qui sont à l'abri. Familles brisées,
disloquées, avec ces enfants qui ne savent plus où donner de la
tête, où donner du cœur, et que vous trouvez parfois en larmes
dans les cours des écoles, des collèges et même des lycées.
Familles émigrées qui n'ont pas de toit au cœur de l'hiver et
que nous montre la Télé, au risque de nous culpabiliser
vainement si nous n'avons d'autres solutions que simplement
humaines. la foi nous en propose d'autres quand elle nous montre
en transparence, derrière ces familles d'aujourd'hui, marquées
par tant de souffrances, jusqu'au point où, là-bas, mais pas si
loin, elles sont quelquefois obligées de vendre ou de prostituer
leurs enfants pour survivre, oui, la foi qui s'enracine dans la
contemplation de la Sainte Famille nous montre derrière toutes
les familles en souffrance, cette famille menacée par la mort,
exilée, revenant en terre de détresse et dont l'enfant n'est que
provisoirement sauvé puisque, pour finir, il n'échappera pas au
massacre, un soir de Vendredi, la veille de la Pâque.
On peut être étonné de voir à quel point
j'incroyable force du message évangélique, sa permanente
actualité venant rejoindre toute souffrance humaine afin de la
traverser de l'espérance d'un Salut, a pu être quelque fois exténuée
dans une mièvrerie qui en fait reflète peut-être notre peur
devant une parole qui pour être force de salut doit montrer les
lieux où nous sommes perdus. jésus, Marie, joseph, ce n'est pas
là une famille où puiser une petite morale gentillette à usage
courant pour que " tout se passe bien en famille dans les
relations entre papa, maman et les enfants. Il existe pour cela
d'excellents et utiles ouvrages, des conseillers, des éducateurs,
des psychologues et aussi ce que nous pouvons tous puiser
raisonnablement dans l'héritage de nos cultures et de nos
traditions, de nos sagesses humaines. Et on fera bien de s'y référer.
le message de l'Écriture est ailleurs, visiblement. Cette famille
n'est pas comme les autres. Elle est là pour mettre en relief
celui qui en est le cœur, cet enfant qui va grandir et se
manifester comme le Fils bien-aimé d'un Père qui s'élèvera
au-dessus du "biologique", non pour le nier mais pour le
sauver. Jésus, nouveau Moïse qui arrive d'Égypte pour aller
jusqu'aux terres païennes enfin de faire de toute terre une Terre
Sainte, celle qu'il appellera le "Royaume de Dieu". Jésus
qui plonge ses racines dans le malheur de l'humanité, souffrant
tous les exils, toutes les persécutions, pour ouvrir un chemin
d'espérance, celui qui éclatera au matin de Pâque. Ce chemin
est celui de l'amour qui a toujours le dernier mot, cette infinie
puissance qui est celle de Dieu, cette espérance dont il nous
incombe de prendre, jour après jour, le relais par une vie non
seulement familiale mais sociale, professionnelle, ecclésiale,
toujours plus ouverte aux appels de l'Évangile.
Paul, dans la lettre aux Colossiens, dira, dans le concret de
l'existence, ce qu'il convient de faire pour que "amour
sauveur circule bien entre les membres de la famille, de la société,
de l'Église, afin que par cet amour vienne le Royaume de Dieu
annoncé par jésus: "revêtez vos cœurs de tendresse, de
bonté, d'humilité, de douceur, supportez-vous, pardonnez-vous,
faites la paix, chantez Dieu.. . ". Et c'est tout le chapitre
3 qu'il faut aller lire...".
Père Jean-Baptiste BLONDEAU
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