La passion selon
l'Evangile
"Avec une opportunité commerciale
suspecte, le film de la Passion du Christ va bientôt sortir sur
nos écrans. Irai-je le voir ? J'hésite, les quelques séquences
que la Télé nous a montrées, les louanges qu'il provoque chez
les uns, les critiques nombreuses que d'autres expriment, me font
craindre le pire. Je serais gêné que des images où Jésus
apparaît tel que Mel Gibson l'imagine, me fassent détourner la tête
d'horreur ou de dégoût, tels les films d'épouvante les plus
sanglants qui mettent à mal les nerfs de la jeunesse, et peut-être
des moins jeunes, partagés entre la curiosité sadique et le goût
ambigu des frissons d'une terreur sans risques.
Quoiqu'il en soit, le récit de la Passion de Jésus que la
liturgie des Rameaux va nous faire entendre cette année encore,
au seuil de la grande Semaine, n'aura bien entendu rien à voir
avec les deux heures de tortures acharnées et les flots d'hémoglobine
qui s'annoncent sur les écrans. La Passion, pour notre foi, c'est
autre chose, moins spectaculaire et infiniment plus intérieur,
plus profond, plus grandiose, signe d'un amour vertigineux pour
que nous y trouvions la puissance de l'amour de Dieu qui est notre
espérance.
La Passion selon l'Évangile n'est pas le spectacle de la
violence. Elle est sans cesse référence et appel à l'intériorité,
au sens, qui sont au-delà du visible sur lequel, on le
remarquera, l'Écriture est d'une grande sobriété, d'une grande
discrétion, d'une grande pudeur. Jésus n'est jamais montré
comme une loque ensanglantée mais comme quelqu'un qui mène son
procès de bout en bout et qui, comme le souligne la deuxième Prière
Eucharistique, entre librement dans sa Passion. Il est souverain
tout au long et dans l'Évangile de Jean il monte à la croix
comme à sa gloire. Saint Jean utilise le même mot grec, upsoô,
pour signifier la crucifixion et la glorification.
Dans les Évangiles, aucun étalage, aucun voyeurisme qui pourrait
égarer la juste compréhension du mystère des souffrances et de
la mort du Seigneur qui sont le point culminant de la puissance de
son 'amour, par conséquent de sa liberté, et dont le sens de
chemin de la glorification va apparaître pleinement au matin de Pâque.
Tout dans les récits fait déjà pressentir cette gloire, comme
les bourgeons de la vie font déjà craquer la terre froide de
l'hiver. Depuis l'immense dignité de Jésus répondant à Pilate:
"Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage
à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.
", en passant par cette solennité mystérieuse où, du haut
de la Croix Jésus confie sa mère à l'apôtre bien-aimé et lui
marque la place éminente qu'elle tiendra dans le mystère de l'Église,
jusqu'au centurion qui devant cette mort hors du commun s'écrie
au pied de la Croix
"Vraiment celui-ci était Fils de Dieu".
Alors il me semble que toute représentation de la Passion qui étoufferait
sous un océan émotionnel, et des images sanglantes au point d'être
suspectes de flatter je ne sais quel obscur sadisme du spectateur,
que toute représentation qui aurait une pente voyeuriste et qui
pourrait laisser entendre que Dieu le Père a besoin du sadisme
pour sauver les hommes, non seulement aurait peu à voir avec
l'objectivité du récit biblique, son intention, sa nature, la
volonté théologique et spirituelle qui l'inspire, la foi pascale
qui l'anime, mais au contraire serait en définitive antichrétienne,
tel que le pire ennemi du christianisme ne pourrait imaginer de le
faire. Dans l'esprit de la liturgie de l'Église entrons plutôt,
en ce dimanche des Rameaux, dans ce chemin de Passion comme dans
un chemin de lumière, d'amour et d'espérance qui va, au bout de
la sainte Semaine, ouvrir nos yeux émerveillés sur la grande
joie de Pâques. Cette joie, déjà, éclaire le chemin du
calvaire.".
Père BLONDEAU |