Evangile
de Jésus-Christ selon saint Marc (7.31-37}
Jésus
quitta la région de Tyr; passant par Sidon, il prit la direction
du lac de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole.
On lui amène un sourd-muet, et on le prie de poser la main sur
lui. Jésus l'emmena à l'écart, loin de la foule, lui mit les
doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la
langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit: «Effata!»,
c'est-à-dire : «Ouvre-toi!» Ses oreilles s'ouvrirent; aussitôt
sa langue se délia, et il parlait correctement.
Alors Jésus leur recommanda de n'en rien dire a personne ; mais
plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient. Très
vivement frappés, ils disaient: «Tout ce qu'il fait est
admirable: il fait entendre les sourds et parler les muets.» |
LES SOURDS ET LES
MUETS
Ils geignent, ils
halètent, Ils soupirent, les milliers de vieillards décimés par
la canicule de l'été. Qui les entend ? Malgré leur âge extrême
il y a eu plus sourds qu'eux encore, leurs enfants,
petits-enfants, neveux ou nièces, voisins qui ne les entendent
pas, qui ne les entendent plus. Ces oreilles là étaient pourtant
plus proches que celles des ministres du Gouvernement. Alors ils
meurent, en silence, et dans le silence. Parfois la voirie met hâtivement
leur corps ratatiné dans un sac poubelle noir, et l'oublie dans
la salle de séjour, jusqu'à ce que les voisins gênés par
l'odeur... (Paris Match, dernier numéro). Ou alors, poussé par de vieilles et
recuites rancunes, on refuse les cadavres pour éviter les frais: à
96 ans, la vieille, depuis longtemps, vous comprenez, elle ne
voulait plus nous voir...
On lui amène un
sourd, Jésus lui met les doigts dans les oreilles, carrément, il
soupire et lui dit: "ouvre-toi!". Ses oreilles
s'ouvrirent. La surdité physique, pourtant bien gênante, est peu
de chose à côté de cette surdité du coeur qui nous rend étrangers
aux cris de la détresse des hommes, Et cette clameur est immense
aux quatre coins de la terre. Elle retentit, certes, dans les hôpitaux,
les maisons de retraites, les chambres de "bonnes"
inaccessibles et surchauffées. Mais on l'entend aussi autour des
camions de blé que l'on jette par sacs parcimonieux à tous ceux
qui crèvent de faim, en Afrique, en Asie, et parfois même plus
près. On l'entend quand une usine ferme et qu'hommes et femmes
soudain basculent dans la précarité. On l'entend au fond de tant
de geôles où l'homme torture l'homme. On l'entend quand les
parents ramassent les morceaux du corps de leur enfant juste après
l'attentat. Jésus soupira et lui dit: "ouvre-toi". Et
nos oreilles s'ouvrent.
Et il y a
ceux que l'on bâillonne. Bouches fermées par la peur, l'intérêt,
la complicité, la lâcheté, l'indifférence. Voix éteintes
parce qu'elles ont trop crié, et que l'injustice, la violence,
sont trop fortes. VISA, dans notre quartier, multiplie ces visages
muets et fixés dans le malheur. Jadis, un fait divers parlait de
ce bébé, mort étouffé par sa mère qui, dans le taudis où ils
vivaient, épuisée par les hurlements de l'enfant, lui avait
scotché la bouche. Terrible symbole du malheur réduit au
silence. Et prenant de la salive, Jésus lui toucha la langue, il
soupira, aussitôt sa langue se délia.
Ainsi "tout
ce qu'il fait est admirable: il fait entendre les sourds et parler les
muets". Oh! que ce doigt, enfin, touche nos oreilles,
que cette salive mouille notre langue! Entendons monter vers nous
la clameur des hommes qui crient leur besoin de présence autant
que de pain, leur besoin de miséricorde, de compassion, de
sourire, de cette simple et élémentaire fraternité qui
frissonne tout au long de l' Evangile comme le fruit de cet Esprit
annoncé par Jésus, comme un des signes majeurs du Royaume qu'il
annonce. Et laissons enfin parler notre coeur, plutôt que les
armes et la violence, celle sanglante que montrent les medias, et
celle, feutrée, dont nous tissons souvent nos relations avec les
autres, violence aussi, souvent des mots qui blessent, des
jugements, des intolérances.
Le jour de notre
baptême on a touché nos lèvres, une eau a mouillé notre corps
et l'église nous a dit: "Epphata! Ouvre-toi ".
Et chaque Eucharistie fait que nous sommes à nouveau touchés par
ce mystère de vie.
Père BLONDEAU |